mardi 8 juin 2010

"Les jeunes sont les jeunes. Ah, le joli mot.” 

Le joli mot auquel Pierre Desproges consacre sa chronique de la haine ordinaire, Non aux jeunes. Il suffit de la lire pour constater que l’emploi du mot jeune a bien évolué depuis 1986.
Le 20 mai, j’ai entendu Najat Vallaud-Belkacem, adjointe au maire de Lyon, déléguée à la jeunesse, se plaindre à deux reprises d’un sondage selon lequel un bon pourcentage de français craignait la jeunesse. Les français ont peur des jeunes, ils ne leur font pas confiance. Et la déléguée de s’en plaindre devant les jeunes qu’elle avait sous les yeux: le matin, le très distingué mâchon organisé à l’Hôtel de Ville par des jeunes entreprenants et dynamiques, heureux de rencontrer l’exécutif lyonnais; l’après-midi dans l’un des salons du même Hôtel de Ville, devant une centaine de responsables d’associations étudiantes qui attendaient la fin de son discours pour refaire le plein de champagne. 
Tout cela est très bien et ces jeunes, assurément, pâtissent de la mauvaise réputation de la jeunesse en général. 


J’ai lu ce matin dans le 20 Minutes un article que je n’ai pas pu m’empêcher de rapprocher de la plainte de Mme Vallaud-Belkacem. “Aldo, 71 ans, poignardé à mort pour rien”. En voici un extrait: “Dimanche après-midi, dans sa rue de Saint-Martin d’Hères (Isère), cet homme qui avait l’habitude de se déplacer à vélo a été agressé par deux jeunes âgés de 18 ans environ. Alors qu’il tentait de résister, le septuagénaire a reçu deux coups de couteau”. Par delà le tragique de l’événement, je tiens à relever l’emploi qui est fait du mot “jeunes”. 
“Agressé par deux jeunes”. 
Qu’y a-t-il de commun entre ces deux jeunes et les jeunes auxquels s’adressait Najat Vallaud-Belkacem? Cette catégorie sociale est-elle homogène et pertinente? Les problèmes des jeunes sont-ils tellement similaires pour requérir une approche globale? Je me demande pourquoi nous n’avons pas de délégué de la mairie aux quinquagénaires, aux gauchers, ou aux végétariens. 
Personne n’est dupe en réalité. L’emploi du mot “jeune” dans l’acception du 20 Minutes est une facilité de langage, un euphémisme qui vise à ne pas stigmatiser davantage un ensemble de personnes déjà victimes d’une mise à l’écart et d’un soupçon qui compromettraient leurs chances de s’en sortir.
Soit. 
Va pour l’euphémisme, c’est quand même plus sympa. Et puis tout le monde sait bien que derrière ce terme, on ne vise pas les jeunes en général, cela va sans dire. Mais l’emploi des mots n’est pas sans incidence, à terme, sur leur sens. Tout d’abord, ce mot “jeune”, qui dissimule l’âge, les motifs, le nom, l’origine et la responsabilité maintient un flou qui génère de la peur. Comment distinguer un bon “jeune” d’un mauvais “jeune”? On nous serine toute la journée avec le palmarès des jeunes. 
Petite recherche Google? Allez : 
- “Deux jeunes recherchés pour l’agression mortelle d’un retraité”,  
- “Grenoble: un jeune homme lynché par une quinzaine de jeunes”. 
- Perpignan: “Une quinzaine de “jeunes” se précipitèrent alors dans leur immeuble et commencèrent à défoncer la porte de leur appartement à coups de pieds. Ils les menaçaient de les tuer et de violer la femme. Petit à petit, le mur se fendait et la porte se dégondait.” 
- “Une bande de jeunes sème la terreur dans le métro lyonnais”. 
- “Paris: rixe mortelle entre bande de jeunes”.
- “Val d’Oise, une équipe de footballeurs amateurs attaqués par une bande de jeunes” (Stéphane témoigne, du FC Montmorency: “Ils ont brisé des bouteilles par terre pour se constituer des armes. Certains avaient des bâtons. On a vu des sortes de machettes trafiquées avec un couteau scotché au bout d’un bâton”). 
L’euphémisme est attendrissant. "Ah, les jeunes!", "Il faut bien que jeunesse se passe!",  "Erreur de jeunesse", etc. Mais manifestement, il ne colle plus du tout à la réalité. Pour Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la justice: “La montée de la violence des jeunes est prise très aux sérieux”. On remercie monsieur Bockel. 
Mais comment peut-il dire ça? Les jeunes de l’Hôtel de Ville se sont distingués, bien au contraire, par un calme et de bonnes manières qu’on n’attendait pas chez des jeunes: pas de vols ni de saccages à la mairie, aucun serveur poignardé et les couteaux n’ont coupé que les larges rondelles de pommes de terre du délicieux gratin dauphinois qu’avait concocté le traiteur. On dit même que des jeunes filles arboraient de jolies robes en toute sécurité! Ces jeunes sont donc extraordinaires? Non, ce sont des jeunes normaux, comme vous et moi. 
Mais alors ce sont les autres, peut-être, qui ne sont pas des jeunes. Et là, on peine pour les caractériser. Monsieur Sarkozy a bien essayé, en son temps, d’officialiser le néologisme politique de “racaille”, mais sans grand succès. On a trouvé “révoltant” de stigmatiser ainsi des jeunes. (Laissant par ailleurs l’ambiguïté sur une origine raciale: “racaille” ne disait pas explicitement qu’il ne s’agissait pas de jeunes issus de l’immigration). On comprend le tollé qu’a soulevé Eric Zemmour en tâchant de faire le relevé statistique des origines des délinquants. Une telle pratique ne saurait être, en France. Hortefeux, qui sent un peu le souffre en ce moment, n’hésite pas à fiche la paix aux jeunes et à parler de “voyous”. Vintage, mais conceptuellement approprié. 
Si les Français ont peur des jeunes, c’est parce qu’on appelle “jeunes” des personnes qui ne le sont qu’incidemment. En tout cas, ce n’est pas en tant que “jeunes” qu’on en parle. On pourrait dire: “la police a arrêté deux droitiers et un gaucher qui tentaient de fracturer un distributeur de billets”. Un groupe d’homme dont la plupart chaussaient du 43 ont agressé une vieille dame, mardi soir, dans le métro parisien”.
Mais “jeune” ne veut pas toujours rien dire: à Perpignan, le 20 Avril, on a attrapé et relâché un suspect trop “jeune”, 17 ans. Une certaine maturité pourtant: il avait été interpellé 122 fois, pour des bagatelles telles que des vols avec effraction, des incendies volontaires, etc. Un jeune, quoi. 
On comprend qu’une personne âgée rechigne à descendre ses poubelles quand cinq “jeunes” traînent dans le hall de l’immeuble, ou qu’une jeune maman n’aille plus au square quand une bande de “jeunes” s’est emparée des agrès. Il faut retrouver un terme pour qualifier cette partie délinquante de la jeunesse, une jeunesse non homogène. Les Français ne sont pas dupes et, dans la colère, ils abandonnent volontiers l’euphémisme: 
Gisèle, l’épouse d’Aldo, le septuagénaire frappé à mort par deux coups de couteaux parle de “petites merdes” et de “vermine”. Marc-Henri P., agressée à Perpignan, parle de ces “jeunes” qu’il entendait “hurler, éructer, injurier” des bons mots, tels que “on va baiser ta [femme]”, “on va vous buter”. Pour sa femme, “ils hurlaient comme des animaux”. Des bêtes, donc. Des sauvages. 
Pourquoi cet article? Le sondage que déplorait Mme Vallaud-Belkacem le montre bien, les jeunes pâtissent de l’emploi du terme de “jeunes” pour parler d’un petit pourcentage d’animaux complètement cinglés qui terrorisent la population. Les personnes âgées, les familles, les “jeunes non-enclins à la violence quotidienne et gratuite”, les enfants craignent ces meutes de charognards contre qui ils ne peuvent rien: défendez-vous, vous recevrez un coup de couteau. Assommez-en un, dix vous tombent sur le râble. 
Qu’on cesse de les appeler “Jeunes”: plus personne ne croit à cet euphémisme. Les journaux commencent à user de guillemets, les blogs soulignent l’impropriété avec ironie, et les vrais jeunes en payent les conséquences. Plus grave encore: les jeunes appartenant aux “minorités” dites “visibles” font directement les frais du flou conceptuel dont usent le gouvernement et les médias. La traduction automatique de “jeune” est “arabe”, ce qui est une énormité. Bravo à la périphrase.gouv : “jeune des quartiers”. 
Maintenir le flou sur la nature de ces brigands, de ces criminels en les appelant “jeunes” suscite un racisme aussi infondé qu’aveugle; prive les vrais “jeunes” et en particulier les moins favorisés de la bienveillance des aînés; tout cela contribue in fine à l’augmentation de la peur générale: “La montée de la violence des jeunes...” au dire de monsieur Bockel. 
S’il ne suffit pas de demander poliment que l’on appelle désormais un chat un chat, alors nous pouvons aussi, nous, jeunes, parler le langage du gouvernement, et utiliser cette conception un peu simplette et essentialiste de la jeunesse: 
Nous autres jeunes, minorité invisible de France (et bien oui, certains font plus que leur âge, d’autres moins), nous sentons insultés, discriminés et stigmatisés quand les médias et les autorités nomment “jeunes” les délinquants et criminels qui sévissent dans nos rues. C’est décourager ceux qui choisissent, a précarité égale ou non, de ne pas user de la violence pour s’enrichir,  de ne pas tuer pour s’amuser mieux en fin de semaine, de ne pas violer, de ne pas saccager le matériel mis à notre disposition, de ne pas cracher sur tout ce qui passe, de ne pas faire payer par le sang les entorses au sacro-saint “respect” que réclame notre susceptibilité, de ne pas parasiter un Etat en vivant sur son dos, au vu et au su de tous, en en méprisant les contraintes.
La prochaine fois qu’un jeune sans histoire se fera racketter, battre à mort, poignarder, défigurer à coup de pieds par ces animaux qui sont trop lâches pour se promener autrement qu’en bande, par cette vermine indigne de son humanité, vous me permettrez de rire quand je lirai dans Le Monde: “Un jeune homme agressé par des jeunes... deux suspects mineurs ont été relâchés...” 

Cassagnac

1 commentaires:

Paolo a dit…

On est des jeunes parce qu'on n'arrive toujours pas à tuer la génération 68. On n'a pas eu la même jeunesse.
Eux jeunes ont pris le pouvoir, on prôné la libération sexuelle, le droit au rêve et à l'utopie, ont décrété que sous les pavés on pouvait trouver une plage.
Mais aujourd'hui devenus pères et mères, ils se sont enrichis et calmés, nous matraquent à coup de préservatifs, de lois liberticides, de plans de rigueur, de bio, d'écologie et refusent de lâcher les rênes.
En bref, ils ont tué le père mais nous refusent la possibilité de le faire. La génération sacrifiée c'est nous, sur l'autel de leur révolution. Maintenant la plage est sur les pavés, et c'est à Paris que ça se passe.
Notre réel est la conséquence de leurs rêves. Est-ce qu'on peut accepter ça ?

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