samedi 20 mars 2010
Une petite fissure, dans le socle de notre bonne république: les deux premiers articles de la Déclaration des Droits de l’homme de 1789 dissonent légèrement. Le premier affirme que les hommes “naissent et demeurent libres et égaux en droits”. Le second que la “liberté” constitue un “droit naturel et imprescriptible de l’homme”.

Egalité

Si l’Egalité existe quelque part, c’est dans le regard que l’autre porte sur moi. Il ne m’appartient pas d’être considéré comme un égal. (En Afrique du Sud, comme dit Desproges, “chacun se voulait plus égal que les autres, à part Ted”). Donc, de deux choses l’une: soit l’égalité s’accorde de bonne grâce, dans le cadre de la politesse (qui consiste à reconnaître dans l’autre, momentanément, une grandeur qui lui donne la préséance: “mais passez, Madame, je vous en prie”); soit l’égalité se conquiert. Pour que celui qui me méprise me considère comme un égal, c’est simple, je dois le mater. 

Liberté

La “Liberté”. C’est amusant qu’elle soit considérée comme un « Droit naturel et imprescriptible ». C’est supposer qu’il puisse y avoir une Liberté théorique, qui ne repose pas sur l’exercice de cette liberté. Mais peut-on vraiment dire “je suis un homme libre non pratiquant”? Je crains que non. Tant que je n’exerce pas ma liberté en opposant à l’ordre mon indiscipline, à la foule ma conscience, et à l’idéologie mon refus, je ne suis qu’un animal mort flottant au fil du courant, qui feint a posteriori d’être l’auteur de sa trajectoire. 
Ah, Libérescence...

J’ai toujours regretté que la liberté ne s’appelle pas “libérescence”. Le concept en serait plus clair, doté du suffixe latin “esco” qui marque, “l’en-train-de”, l’arrachement progressif, dans l’effort. L’incandescent étant ce qui se consume par la flamme. C’est pourquoi la liberté considérée en elle-même ne peut se comprendre, donc s’exercer, si on lui retranche sa dimension d’effort, de combat. Or le duel est la forme primitive de tout combat; a condition de ne pas oublier que “notre pire ennemi est dans notre coeur”(Publius Syrus). 
Liberté ou Egalité?

Venons en à notre problème. La Liberté (bien comprise) et l’Egalité (bien comprise) ne s’articulent pas facilement. Soljenitsyne le souligna a plusieurs reprise avant d’être entendu par notre Occident décadent: Liberté et Egalité sont des concepts « mutuellement exclusifs » (Discours d’Harvard, 8 Juin 1878). L’Egalité dissout la liberté. La liberté rompt l’égalité. Si dans une société égalitaire, le génie est inacceptable, le talent est déjà insolent. De même, les sociologues l’ont remarqué, la politesse ne peut fleurir que dans des sociétés où règnent les tensions de la hiérarchie. L’idéologie de l’égalité, nous le voyons bien aujourd’hui, nous amène à vivre comme des bêtes : bien au chaud en meute, mais aussi vulnérable qu’irresponsable quand on est solitaire. Bref, une tension irréductible rend le slogan républicain  un peu dissonant. “Liberté ou égalité. Quid de la Fraternité?”
Du duel

Le duel n’est plus dans les mœurs. On le croit interdit? Que non pas! D’ailleurs, aucun texte positif ne pourrait quoi que ce soit contre cette tradition qui, de toutes manières, s’est toujours tenu à l’écart de la justice de robe. (Et oui, car il existe bien une justice d’épée). D’un autre Occident nous est venu le prophète de notre propre honte. Soljenitsyne, déjà cité, attribue le déclin de l’Occident à une cause peu reluisante. “Pour l’observateur extérieur, le déclin du courage est le trait le plus saillant de l’Occident aujourd’hui”. C’est là notre spécialité, d’ailleurs: faire de notre docilité une vertu. 
Foin de la République, sans le duel

Voilà pourquoi l’on ne se bat plus, ou si l’on se bat, c’est comme un laquais, à s’abîmer sottement le poing sur le premier imbécile venu. Le duel joint la culture à l’instinct, c’est un combat d’homme parce que c’est un combat de sang-froid. Mais voilà, cela suppose l’existence d’un terrain d’entente, d’une certitude partagée. Laquelle? L’Egalité. L’autre est mon égal, et comme tel il m’a offensé. (“Plus l’offenseur est cher et plus grande est l’offense!”). Problème : pour être offensé, il faut un minimum d’honneur, et je crains que ce ne soit un luxe hors de prix. Il n’y a de libre que des individus. Il n’y a d’honorable que des personnes. Il n’y a d’égalité que dans le face-à-face.
Réparer une offense: la HALDE ou la vie?

Liberté et Egalité se contredise, disions-nous. Mais elles se réconcilient dans le duel. Dans un duel, l’offenseur et l’offensé réparent une situation d’humiliation, donc d’inégalité: une insulte. Après s’être exposés à la blessure – ou à la mort – et sûrs de leur courage, ils se quittent, plus égal l’un que l’autre, dirait-on. L’Egalité se construit donc à deux, dans la reconnaissance mutuelle du courage, épreuve de la liberté.

Un nouvel humanisme

Car je ne suis pas l’égal de mon prochain dans tous les domaines. Sous certains aspects, je vaux bien plus que lui ; sous d’autres encore, je ne lui arrive pas à la cheville. En revanche, l’Egalité se reconnaît sur le seul point de commensurabilité entre les hommes: la Liberté. Un homme admire la liberté d’un autre homme, ainsi que toutes les valeurs qui s’en déduisent. La magnanimité, la force d’âme, le courage, l’honneur. Un officier respecte son adversaire courageux. Le tortionnaire ne peut s’empêcher d’admirer l’homme qui ne parle pas sous la torture. A l’inverse, l’espion “retourné”, trahissant sa patrie sera méprisé par ses nouveaux employeurs. La liberté est donc le seul terrain sur lequel nous puissions construire l’égalité. 
ENVOI

Le duel, parce qu’il permet à deux Libertés de s’affronter sur le pré, implique la reconnaissance réciproque de leur humanité. Si les duellistes sont égaux, s’ils sont frères, c’est uniquement dans la liberté. Liberté, Egalité, Fraternité? Foutaises! Tant que mon prochain ne me prouve pas qu’il est une personne libre, c’est un mensonge débilitant, une lénifiante imposture, une superstition mortelle. La France républicaine dans ces conditions? Ecr. l’inf. !
Cassagnac

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